En premier lieu, sur la principale mise en examen dont vous nous accusez, elle stipule que nous avons mis en place une «organisation terroriste», avec laquelle «nous visions l’ordre social établi du pays, et nous voulions le renverser ou du moins que nous voulions sa déchéance». J’aimerais revenir sur ce point. D’elle-même cette accusation est la plus grande preuve qu’il s’agit bien là d’un procès politique. Il n’y a pas de meilleure confession qu’il s’agit là d’un groupe armé qui se tourne contre le régime, contre l’ordre social de ce régime. Cette accusation est en soi un aveu que nous sommes des sujets politiques, que nos objectifs étaient politiques, et que les activités de notre groupe étaient purement politiques.
Mais vous n’admettez pas que nous sommes une organisation politique, parce qu’en fait ce serait un aveu indirect qu’il y a un contrepoids politique dans ce système. A savoir que Lutte Révolutionnaire est une organisation politique qui prône un autre type de société. Un autre type d’organisation sociale, politique et économique. La reconnaissance que vous ayez face à vous des adversaires politiques, serait en fait la reconnaissance qu’au sein de cette société, de ce système que vous servez, il y a des gens qui luttent, qui voient, qui prônent, qui recherchent un autre type d’organisation sociale.
Ce seul fait serait un coup porté à votre régime. Le régime que vous servez. Vous de l’autre côté, vous voulez montrer que ce régime est une voie à sens unique. A savoir, qu’il n’y a pas de vie en dehors de ce système. Qu’il n’y a pas de vie en dehors de cette société. Vous voulez nous convaincre que tout combat pour nous libérer de cette situation sociale, toute tentative est désastreuse. Vous voulez nous persuader que l’existence d’une société sans État, sans administrateurs ni administrés est impossible. Vous voulez nous convaincre que l’existence d’une société sans maîtres ni esclaves est impossible. Vous voulez nous persuader qu’il est impossible qu’une société existe sans riches et sans pauvres. Tout ceci, bien sûr, repose sur une base politique et théorique. Nous le savons. Il y a eu des théoriciens tels que Malthus et Adam Smith, il y en a eu beaucoup à travers toute l’histoire du système capitaliste que vous servez, lesquels ont théorisé l’existence de la pauvreté, ils ont théorisé qu’il est impossible à la société d’exister en dehors des divisions sociales.
A travers ce tribunal, vous êtes aussi au service de tout cela. Toute cette théorie, qui en réalité veut nous convaincre que le sort du pauvre est d’être pauvre, le sort de l’opprimé est d’être opprimé, et, comme Smith le disait pour ceux qui le savent, que la recherche du profit – sur laquelle en réalité est fondée une société de l’inégalité et de l’injustice telle que la nôtre – est le droit inaliénable de tout un chacun à améliorer leur situation économique, en marchant sur les têtes des autres personnes. Vous croyez vous, que c’est un droit inaliénable pour tout un chacun. Il s’agit pour vous de ce qu’on appelle la «liberté économique». C’est ce que vous défendez. C’est un effort pour légaliser la nature criminelle du régime. Ce régime, nous essayons de le renverser en tant qu’organisation. Nous voulons renverser cette société de l’inégalité.
Je vais faire référence maintenant à un exemple en relation avec la décision judiciaire de la Cour suprême pour les 17-Novembre. En réponse à la question de l’organisation «terroriste» et du «crime» politique que vous mentionnez – entre parenthèses, tout ça avait été dit par la Cour suprême en citant la théorie objective – que quelqu’un se tourne avec son action contre l’ordre social du pays et recherche son renversement ou même son altération, pour reconnaître son action comme une action politique, il ne suffit pas juste de l’intention – car dans l’intention on suppose qu’elles sont reconnues comme étant des motifs politiques -, mais est déterminé par le résultat de cet effort. C’est-à-dire, à en juger par le résultat, la Cour suprême dit : puisque vous n’êtes pas arrivés pas à renverser le régime, vous n’êtes pas des prisonniers politiques, votre cas n’est pas de nature politique. Ceci est un autre type de confession. Laquelle ? Celle que «nous allons avec le gagnant». À savoir que «si vous parveniez à vaincre, alors vous serez reconnu comme des êtres politiques. Mais vous ne l’avez pas fait, et donc votre action n’est pas politique. Vous êtes une activité minoritaire».
Il est tout à fait logique qu’une organisation comme Lutte Révolutionnaire ne peut pas apporter le renversement d’elle même. Il est nécessaire d’avoir un ensemble de processus politiques et sociaux pour réussir une telle chose. Mais si nous supposions que Lutte Révolutionnaire pouvait renverser le régime, qu’est ce que cela voudrait dire ? Qu’automatiquement nous serions reconnus comme étant des sujets politiques. Nous arrêterions d’être des terroristes parce que nous serions les vainqueurs. Qu’est ce que cela veut dire ? Que cette Cour, comme la totalité de la culture qui existe au sein de ce système, dit «nous allons avec celui qui gagne». Ce qui veut dire que «nous ne sommes pas intéressés par la qualité du système. Nous ne voulons pas la qualité de cette organisation. Ce qui nous intéresse c’est les personnes qui sont au dessus». Le vainqueur décrète qui est le prisonnier politique, quel procès est politique, qui est l’être politique et qui est le criminel, qui est le terroriste et qui est celui qui peut être dénigré en tant que délinquant criminel.
Pour moi c’est une évidence qu’au sein d’une société comme la nôtre, comme celle qui existe aujourd’hui, au sein d’une société où domine l’État comme mécanisme de pouvoir, il est inéluctable que les valeurs de cette société soient décrétées par celui qui a gagné. Par celui qui a le pouvoir entre ses mains. C’est lui qui donne un sens aux choses. Celui qui est en dessous et lutte, sera décrété comme tel par ceux qui le dominent avec les conditions qu’ils posent eux.
C’est le cas notamment ici. Vous même en réalité, si jamais un groupe réussissait à détruire l’ordre social existant, vous changeriez immédiatement votre position et diriez «oui, ce sont des sujets politiques».
De la même façon que si nous supposions qu’une révolution sociale était en marche et nous réussissions à renverser ce régime, ce système. Dans ce cas, nous pouvons nous imaginer que Papandreou tenterait de combattre cette révolution. Qu’il s’organiserait, qu’il amènerait l’armée et qu’il s’attaquerait à notre effort de renverser l’ordre social du régime. Auquel cas, en se basant sur votre logique, celui qui serait vaincu serait le terroriste, le criminel. Et il ne peut pas être un sujet politique lui, puisque il serait vaincu. Bien sûr ces propos sont théoriques, car dans le cas où nous serions les vainqueurs la question des accusations ne se poserait même pas.
Je souhaiterais maintenant me positionner par rapport aux questions soulevées par le camarade Maziotis. Elles concernent trois points : qui est celui qui parle de terroristes, de quelle position il parle et ceux qu’il accuse comme étant des terroristes.
Lutte Révolutionnaire – comme nous l’avions indiqué dans notre déclaration le premier jour du procès – est en réalité une organisation purement politique, elle a des caractéristiques sociales et de classe profondes, elle lutte pour l’égalité économique et la liberté politique de chaque personne. C’est vraiment rageant – surtout dans les conditions que nous vivons aujourd’hui – que ça soit nous qui sommes accusés d’être des terroristes, au moment où tout ce qui se passe autour de nous est un énorme crime.
Ce tribunal est au service d’un système à la fois économique et politique qui se trouve dans une crise profonde. Une crise qui est le résultat d’un long processus d’oppression et d’exploitation profonde de toute la planète et dont les résultats sont actuellement vécus par tout le monde. Ces personnes, ces «honorables messieurs» du système, les investisseurs, les industriels, les capitalistes, sont en fait indifférents à la vie de tout un chacun, en réalité c’est seulement le profit qui a une valeur à leurs yeux. Ils vont et ils investissent dans les bourses qui sont en réalité le temple de l’argent et le mécanisme qui légalise l’euthanasie des parties entières de la population à travers le monde. Nous sommes allés en tant qu’organisation et nous avons frappé la bourse, on ne s’en est pas caché, nous l’avons admis et nous avons bien fait – j’apporte ici un exemple d’une action dont vous nous accusez en fonction de votre droit pénal. Tout capitaliste «respectable» va sur les marchés boursiers avec sa samsonite et ses cravates, pour accroître son propre profit et sa propre richesse, il investit dans des vies humaines comme si c’étaient des cacahuètes. Cela n’a pas d’importance pour lui, s’il investit dans des cacahuètes, dans les dettes de pays ou dans la mort de gens. Parce que quiconque qui s’est occupé de manière élémentaire de ses questions – sans avoir besoin d’avoir terminé l’École supérieure d’économie ou une quelconque université d’économie -, qui s’est occupé de façon rudimentaire de ce que ça signifie à notre époque un investissement sur les marchés de la bourse, sur les marchés de l’alimentation, sur les marchés des producteurs, que les grands investisseurs eux-mêmes caractérisent comme des armes de destruction massive, il comprend que de tels investissements ont en réalité littéralement provoqué la mort de centaines, de milliers de personnes.
La récente crise alimentaire de 2008, qui s’en souvient, avait fait descendre des millions de personnes dans les rues. Beaucoup sont morts. Nombreux sont ceux qui ont été marginalisés. Des classes entières ont disparu, jetées en bordure.
Actuellement avec la crise que nous vivons, les élites croient que cette euthanasie sociale, comme je la nomme, est en réalité l’unique solution pour tirer le système hors de la pourriture et pour lui donner un souffle de vie. C’est-à-dire qu’ils ont pour but de tuer, non pas uniquement de marginaliser, clairement de tuer des gens pour qu’eux puissent survivre. Le pourquoi je vais l’expliquer dans ma défense. Il s’agit d’une grande histoire et, son analyse, je pense que Lutte Révolutionnaire la détient, elle l’a déposée et nous allons la faire revivre ici.
Je crois que ce système est ridicule. Nous qui sommes des combattants, qui depuis notre adolescence nous nous battons, que la plupart d’entre nous ont été arrêtés, ont été battus, on nous a traînés tant de fois devant les tribunaux pour des combats, des occupations, des manifestations, pour tout un tas d’activités qui concernent le combat collectif dans les rues, nous qui avons lutté dans le cadre de Lutte Révolutionnaire, laquelle je me répète, est une organisation politique qui est profondément ancrée dans des caractéristiques sociales et de classe. Nous qui en réalité, nous nous sommes tenus de manière radicale aux cotés des prolétaires, nous avons été de manière significative proches des pauvres, nous avons été en face du capital, en face du pouvoir, en face des criminels réels qui nous accusent d’être des «terroristes». C’est ridicule que ce soit nous qui ont été emprisonnés, qui risquons notre vie, et qui risquons encore d’aller en prison pour de nombreuses années.
En réalité je ne pense pas que cette Cour soit impartiale. C’est un procès spécial, dans un endroit spécial, sous des conditions spéciales, sans médias qui sont éliminés des procédures, sans la possibilité d’avoir un procès-verbal relatif à l’enregistrement d’un processus historique. Ce seul fait montre qu’il y a eu un calcul en relation avec ce procès. Je pense que malgré le fait que vous n’ayez pas la possibilité de nous condamner pour des actions partielles, car tout le monde sait quelles sont les preuves qui existent pour nous trois dont vous nous accusez comme étant des «chefs» de l’organisation, moi-même, Maziotis et Gournas, vous allez tout de même nous condamner. Nous, nous avons accepté la responsabilité politique, nous avons déclaré combien nous étions fiers de notre participation, et nous allons le répéter encore et encore. Mais en ce qui concerne les actions, il n’y a pas de preuves.
Pour ce qui est des chefs j’ai à dire ceci : Nous sommes des anarchistes, et en tant que tels, non seulement nous n’acceptons pas la hiérarchie, mais en plus elle nous dégoûte. Bien sûr, je crois que toute organisation révolutionnaire qui agit dans le cadre de la guérilla révolutionnaire urbaine n’a pas de hiérarchie.
Nous, nous luttons pour qu’il n’y ait point de hiérarchie dans la société. Ce serait impossible pour nous de construire une organisation laquelle a en son sein les structures sociales qu’on est censé combattre pour les renverser. Je crois que Lutte Révolutionnaire est en réalité une micrographie de ce que nous voulons faire passer comme modèle d’organisation sociale. A savoir, une organisation horizontale, sans chefs, sans dominant ni dominés.
Bien qu’il n’y ait pas en réalité, pour l’accusation de «commandement», la possibilité de nous condamner, vous allez quand même le faire. Votre décision de nous accuser sur cette question est politique. Et en ce qui concerne Gournas, c’est lui qui finalement a été le chef, il ne l’a pas été dès le début. Ce qui signifie quoi? Que Gournas a endossé la responsabilité politique, et donc il est compris dans les chefs parce qu’il soulève ainsi le poids politique d’une organisation. Moi je vous dis que s’il y avait encore cinq personnes qui assumeraient, vous les placeriez également en tant que chefs. Et de quoi nous parlerions ? D’une organisation de commandement horizontale. N’est-ce pas ?
Une autre chose que j’aimerais dire qui est la suivante : Comme le pays entier le sait, Maziotis et par extension moi-même, étions surveillés depuis 2002, date à laquelle mon compagnon avait été libéré et jusqu’à récemment. Il y a eu de nombreuses émissions à la télévision pour ce fait. A savoir qu’il y a eu une très longue surveillance des deux, principalement de Maziotis – mais nous vivions ensemble donc par extension aussi de moi – et elle n’avait révélé aucun élément, ni pour l’organisation ni pour rien. Je veux dire ceci : Je crois finalement que nous serons condamnés pour le commandement et pour les actions. Je crois qu’il s’agit d’une décision politique, parce que vous ne pouvez pas dire que «ces messieurs sortent, qu’ils endossent les responsabilités, qu’ils parlent publiquement de leurs positions, qu’ils défendent des actions de ce genre et nous allons les laisser sortir avec une simple participation».
Vous avez je crois l’ordre de nous condamner. Et je souhaiterais vous dire ceci : que la décision qui va sortir sera une condamnation, et que vous allez nous mettre des centaines d’années de prison, et que cela va provoquer un précédent politique. Le précédent politique c’est quoi ? Que tous ces «messieurs», anciens ministres de l’Ordre public, les directeurs et les administrateurs des services secrets et de l’antiterrorisme anciens et actuels, certains agents de la CIA qui nous surveillaient de temps en temps – je ne peux pas savoir pendant combien de temps -, au final tous les services secrets de Grèce, quelques-uns de l’étranger, des facteurs politiques de Grèce, d’anciens ministres, et par extension les gouvernements aussi, sont en fait complètement impuissants en matière de sécurité. C’est-à-dire quoi ? Ils disent «qu’on avait les chefs depuis 2003, époque à laquelle l’organisation a commencé, on les suivait constamment et qu’est ce que vous avez fait ? Rien ! Ils agissaient, imperturbables, toutes ces années». C’est à dire, en tant que «chefs» nous allions, nous organisions, nous écrivions, nous avions sur nos épaules tout le fardeau d’une organisation, et en même temps il y avait derrière nous une horde d’agents secrets et de policiers.
Toutes ces choses ne proviennent pas de mon expérience. Elles on été enregistrées par des chaînes, d’émissions de télévision et d’émissions de radio. Marcogianakis, qui était l’ancien ministre de l’Ordre public, s’était engagé à défendre les services secrets de la Grèce et de l’antiterrorisme, durant toute la période précédent nos arrestations, concernant les surveillances, et à dire qu’ils n’ont pas cessé un instant de nous suivre.
Je lance le défi suivant. Amenez-les ici. Qu’on les appelle. Qu’on appelle ici Marcogianakis, Korandis, Chorianopoulos – son nom apparaît dans les entretiens de Marcogianakis – que tout ces «messieurs» soient appelés ici. Appelez l’ancien ambassadeur, qui était là quand l’ambassade américaine fut frappée. Appelez les agents de la CIA qui nous surveillaient. Que ces «messieurs» soient tous appelés et qu’ils disent publiquement – ce serait un grand plaisir pour moi, vraiment je vous l’assure – que «nous messieurs, nous les surveillions toutes ses années, puis ils nous échappaient pour de longues périodes » – parce qu’une action de l’organisation, pour être organisée, a besoin de temps, ce n’est pas possible de le faire en un instant -, «ils se sauvaient, ils disparaissaient puis ils réapparaissaient, et nous, nous ne faisions rien». Autrement dit, nous avons terrassé complètement leurs mesures de sécurité, nous les avons complètement humiliés. Qu’ils viennent le dire publiquement, et je vous garantie que pour ce qui est des actions qu’ils vont mentionner je vais les accepter. J’accepterai aussi la partie qui concerne les actions elles-mêmes. Apportez-les ici. Ce serait ma joie en tant que révolutionnaire d’humilier publiquement ce régime, et qu’ils disent concrètement que nous les tenions (il s’agit là d’un phénomène sans précédent dans l’histoire mondiale du mouvement révolutionnaire), qu’ils nous ont tous humiliés et qu’ils sont allés faire leurs actions. Moi je vous assure que je vais aussi endosser les responsabilités des actions.
Pola Roupa