Instabilité et déstabilisation. L’état grec est confronté à une situation sans précédent pour lui-même: délégalisation sociale complète, contradictions apparentes, ainsi que tensions entre les pôles autoritaires, incapacité à tracer une ligne politique commune, pression par les amis et les ennemis, manque d’alternatives convaincantes qui pourraient assurer la reproduction du système. Tout cela s’est plus que jamais révélé lors de la journée de la grève générale (le 15 juin).
De l’autre côté, le mouvement social de protestation qui se développe (dénommé «les indignés» par les médias), révèle en effet une faiblesse à surmonter et briser les obstacles qui se lèvent contre lui: non seulement la domination policière mais surtout l’encerclement idéologique qui englobe de nombreuses identités sociales (variées au niveau qualitatif et de radicalisation), ainsi que des diverses origines et aspirations. Ce mouvement correspond au modèle étatiste-patriotique du type “une autre démocratie est possible» (qui nous rappelle le slogan «un autre monde est possible” des forums de gauche contre la mondialisation). Le mouvement des «indignés» forme, jusqu’à ce moment, un besoin social réel (celui de la création d’un espace de discussion et de contestation) et apparaît comme une expérience sociale intéressante. Cependant, il n’a pas créé ce champ de radicalisation sociale attendu: ce mouvement ne peut pas et ne veut probablement pas briser les identités et former des nouvelles subjectivités de lutte; il ne peut pas développer des nouveaux champs de lutte loin de la place de Syntagma. La «passion» de la place de Syntagma ne fut pas transférée dans les assemblées de quartier populaires, qui ne sont ni nombreuses, ni formées en dehors des dynamiques politiques connues. (Évidemment, l’expérience des assemblées de quartier est encore au début et le champ expérientiel des quartiers-leur psycho-géographie et leur communauté de classe-pourrait constituer un champ fertile et réel de développement des résistances sociales.)
En réalité, aucun mouvement social -dans la mesure où il vise à la création et l’expansion des espaces de liberté vitaux- ne peut survivre et évoluer lorsqu’il reproduit simplement ses potentiels déjà explorés; lorsque les identités des sujets qui le constituent ne sont pas brisées et re-synthétisées vers des nouvelles subjectivités ; lorsqu’il reproduit toute la civilisation de la manipulation et de la prise en charge de nos affaires par des autres ; lorsqu’il se trouve dans la rue seulement pour être embrassé par les appareils idéologiques d’Etat pour devenir «une photo» qui circule sur internet. L’attitude des médias de masse est très significative ; ils embrassent les indignés fixant en même temps les codes de bonne conduite de la protestation: ce qui n’est pas pacifique est hostile, ce qui ne convient pas à la langue médiatique est condamné à l’exil. Les mouvements de protestation sociaux de ce genre terminent par expédier des prophéties auto-réalisatrices et constituer finalement le “social alibi» des changements-déplacements institutionnels. Cela s’est révélé, d’ailleurs, lors de la grève générale du 15 juin: au-delà de la propagande de la gauche, la «foule» ne fut pas des centaines de milliers-comme on pourrait attendre selon une analyse linéaire de la réalité sociale-mais a à peine atteint les 40-50 mille. Et il n’y avait pas plus de 10-15 mille personnes, sur la place de Syntagma, lorsqu’elle fut attaquée-comme c’était prémédité- par les forces de répression. En outre, la linéarité fut également «brisée» au niveau de la qualité de l’indignation: le ras-le-bol n’était pas suffisant pour lancer une attaque frontale, la journée du «grand rendez-vous». Ceux qui ont essayé de mener une telle attaque (avec une obsession politique autoréférentielle) ou ont imaginé le rôle du catalyseur, ont aussi testé les limites d’une grande partie des personnes rassemblées. Dans de nombreux cas, la qualité de l’indignation a touché le côté petit-bourgeois caractéristique de la droite populiste. Ce n’est donc pas par hasard que certaines vermines de l’extrême-droite trouvent un champ d’expression dans l’hétérogénéité de la foule même si ils se font régulièrement expulser de la place.
De la part de l’Etat, il y a vraiment une petite panique: étant donné que la gestion actuelle doit aux capitalistes locaux et supranationaux de faire passer le mémorandum de mi-parcours (au niveau institutionnel aussi), les actions du gouvernement sont plus ou moins prévues et visent à la détente du mécontentement social. Mais ses limites se sont également révélées: D’un côté, l’état pourrait choisir l’attaque frontale mais ce choix aurait des perspectives incontrôlables dans le corps social et ses actions de contestation et cela signifierait du sang dans les rues. De l’autre côté, il pourrait choisir les manœuvres, la désorientation et l’engloutissement institutionnel de l’ «indignation sociale», avec le risque de se trouver dans le chaos de la faillite (dans la mesure où les rapaces du FMI et de l’UE insisteraient sur leur plan initial). Pour le moment, tout montrent que l’état grec et sa gestion politique gagnent du temps (pour que l’été passe) : les prêteurs ont promis qu’ils procéderont au versement de la cinquième tranche du prêt du mémorandum 1, indépendamment de l’évolution des négociations sur le mémorandum 2.
La stabilité politique, non seulement de la Grèce, mais aussi de l’édifice européen (pour autant que l’effondrement d’un pays membre apporterait des changements en chaîne) fut considérée comme une priorité jusqu’à l’amélioration des conditions..C’est un fait que la façon dont le statu quo politique réalise les perspectives capitalistes du pays change : les gouvernements de «survie nationale», les gouvernements des technocrates -c’est-à-dire des personnes du pouvoir qui ne furent pas touchées par le discours populiste actuel des médias ni par la logique du coût politique- se sont présentés comme la réponse à l’usure du monde politique et sa délégalisation, jusqu’à ce qu’ils trouvent la nouvelle recette politique. En fait, cette instabilité convient à la satisfaction des besoins capitalistes précisés dans le mémorandum 2. Et c’est connu que lorsque le coût politique n’est pas considéré, lorsqu’il y a des gouvernements de «survie nationale», le sang coule tôt ou tard dans les rues: le degré de consensus social exigé par tels modèles étatiques dépasse les dégradations connues. L’ennemi interne se diffuse dans toutes les formes et actions de résistance.
Contre tout cela, la réponse reste la rue et les quartiers. Les expérimentations sociales et les rencontres constituent toujours des champs ouverts produisant des résistances. La réponse se trouve dans les prochains grands «rendez-vous» sociaux pour la confrontation avec l’état, mais aussi dans la création des infrastructures et des relations de solidarité et résistance dans les quartiers et partout. Aussi longtemps que la contestation sociale n’acquiert pas de caractéristiques de renversement, elle continuera à reproduire-avec les pires résultats et dans les pires conditions- la civilisation morte du pouvoir.
Samedi, 18 de Juin
source en grec: www.thersitis.gr