[Argentine] En célébrant le déclin social

En me promenant à travers la Ville des fantômes, j’écoute le croassement de la charogne et le gémissement des cadavres, morts-vivants qui déambulent à travers les rues fatidiques de l’infamie, du mensonge.

Et oui. Je le sais.

Je me trouve au milieu de la société pestilentielle des cadavres.

Des paroles nauséabondes chargées de la servilité la plus dégoûtante et vulgaire sortent de leurs bouches.

Des épaules courbées avec des visages qui démontrent le bonheur le plus stupide qui soit.

Des cadavres avec des costumes de soie.

Des cadavres sales et en lambeaux.

Tous ensemble ils se promènent. Tous ensemble !

L’égalité égalise et la justice est divine : tous égaux et frères aux yeux de dieu ! Tous !

Que cherchent-ils ? Vers où se dirigent les cadavres sociaux ?

Je ne sais pas. Je crois qu’eux non plus.

***

Les cadavres n’adorent plus ce vieux dieu, celui-là a déjà perdu le respect.

Mais aussi vieux qu’il soit, il a cédé sa place à quelques autres dieux à adorer. Les cadavres ont de temps en temps besoin qu’on leur disent qu’ils ne sont pas morts.

Et ces nouveaux dieux ne parlent pas trop.

Ils ne promettent plus des paradis ni ne font peur avec les enfers. Ça c’est du passé.

Ces nouveaux dieux promettent la sécurité, le prestige, le confort.

Mais presque sans parler, presque sans promettre. Parce que la servilité est telle, que les dieux ne font que diriger les morts jusqu’à l’autel de la juste démocratie qui va réaliser leurs rêves d’or.

Et avec leurs mains pieuses, les dieux distribuent les valeurs.

Ah ! Les valeurs de la foi, du travail, de l’égalité, de la morale…

Les visages des nouveaux dieux ne sont pas éternels : Ceux qui se montrent à la fenêtre de l’église se succèdent pour dire aux morts vivants ce qu’ils veulent entendre, quand ils veulent autre chose, les dieux changent de visage et de mots et les créatures innocentes et obéissantes applaudissent à nouveau…

***

La société des cadavres est particulière.

Je l’admets ! Ça me surprend encore.

C’est qu’en se promenant entre les morts, il est inévitable que le parfum de la pestilence ne pénètre les pores.

Néanmoins, je ne suis pas mort, mais l’aliénation est telle, que les cadavres ne se rendent même pas compte de ma présence.

Un vivant qui marche entre les morts !

Je précise que je n’ai rien contre la mort, mais on ne peut pas lui faire confiance.

La mort ne discrimine pas.

En dansant et en riant  elle lâche  le fil sur lequel nous sommes tous accrochés, sans se soucier de qui tombe dans sa danse macabre.

On ne peut pas faire confiance à la mort, elle n’est pas notre alliée.

C’est un personnage sympathique, je dois le reconnaitre, mais elle est avec les dieux et aussi avec nous.

Ou avec personne, je ne sais pas.

Elle se moque de tout le monde, je pense.

Mais elle devrait reconnaitre, la mort, que sa tache lui demande chaque fois moins d’efforts, et ça l’ennuie.

Peu de ses victimes ont des étoiles dans les yeux…

Peu de ses victimes dansent avec elle avant de mourir…

Peu de ses victimes la regardent dans les yeux et crient une dernière fois « santé ! »…

Peu de ses victimes sont vivantes avant de mourir…

***

Assis sur les bancs des places grillagées, les morts-vivants se promettent amour éternel et rêves de lendemain de roses : enfants, maisons, voitures, un bon travail.

Mais dans la société des cadavres il n’y a pas de place pour les pêcheurs, alors les amoureux doivent jurer loyauté au vieux dieu sur l’autel et aux nouveaux dieux de la société.

Ces nouveaux dieux qui déterminent le bonheur des obéissant qui acceptent servilement.

Ils sont bons les nouveaux dieux. Ils veulent le bonheur pour la société, en échange seulement de l’obéissance. Ce n’est rien.

Elle est sa propriété.

Il s’occupe d’elle parce qu’elle est trop faible pour le faire toute seule.

Elle pleure.

Lui non.

Elle s’occupe des enfants. (Lui aussi maintenant. Le bon père !)

Il travail. (Elle aussi maintenant. La grande conquête !)

Elle obéit.

Il décide. Ils s’aiment.

C’est ça qu’ils appellent l’amour ?

***

Dans la société des cadavres il y en a certains qui jouent à être vivants.

Parce qu’un jour, allez savoir pourquoi, ils se sont rendu compte du parfum nauséabond et vomitif qu’ils laissaient derrière eux.

Ils se sont rendu compte de la pestilence de leurs phrases et de la servilité de leurs actes.

Ils savaient que quelque chose n’allait pas dans ce cirque-cimetière orchestré par les dieux.

Ces morts en recherche de vie savaient que pour que tout soit bien il fallait faire beaucoup et renoncer à beaucoup de choses, à beaucoup de confort, alors ils ont décidé de faire les choses à moitié, mais de les faire.

Ils inventèrent un nouveau dieu aux apparences de cadavre, belles paroles, beaux acteurs, un beau panneau publicitaire.

À nouveau le paradis et l’enfer, mais avec d’autres mots et c’est parti.

Un léger parfum révolutionnaire pour couvrir l’odeur de la servilité et on commence par le bas la construction d’un Parti des cadavres qui jouent à être vivants.

Et bon, on ne peut pas renoncer à tout. La possibilité d’être des Dieux est un avantage tentant…

***

Dans la prison qu’ils appellent école, les petits morts-vivants apprennent tout le nécessaire pour pouvoir s’insérer facilement dans la société.
Ici on leur enseigne toutes les belles valeurs sociales, nécessaires pour être de bons êtres serviles.

Bien sûr, plus par la main dure du vieux dieu, mais par la main aimable et compréhensible des nouveaux dieux. Dans la prison-école, ces nouveaux dieux sont représentés par les plus qualifiés et les plus intelligents des cadavres, dotés de la connaissance la plus avide qui soit.

Certains de ces représentants des nouveaux dieux jouent à être vivants, ainsi ils remplissent les petites créatures de toute leur théorie libératrice pour qu’elles soient de futurs cadavres qui jouent à être vivants.

Les rangs militaires, les grilles, les hauts murs, la récompense et la punition font en sorte que celui qui regarde le ciel par la fenêtre ne comprend pas que ce qu’il ressent à l’intérieur s’appelle Liberté.

***

Dans la société des cadavres il y a ceux qui ne jouent pas à être vivants ni ne se livrent à la servilité la plus vulgaire qui soit.

Ils n’ont ni dieux, ni maîtres.

Ils n’ont ni parti, ni lois.

Ils ne sont pas morts, mais vivants…non plus… Ah ! Ma cruauté et le rire de mes démons ne sont pas pour les offenser.

C’est que la vie leur est pénible, ils ne l’acclament et ne la chantent pas.

C’est que… Comment les appeler ? Ces demi-morts libertaires continuent à faire confiance à la société des cadavres !

Cette société qui a emprisonnée leurs frères ! (et les miens, parce que malgré les différences nous avons toujours des liens de parentés)

Cette société qui a élevée au plus haut tous les nouveaux dieux !

Pourquoi faire confiance ? Par quel besoin ? Que peuvent nous offrir les morts ? La Liberté ? La vie ? Allons s’il vous plait, ne me faites pas rire.

À force de marcher avec les cadavres, les bonnes intentions des demi-morts libertaires vont commencer à sentir mauvais.

***

Assez ! Assez de respirer la mort !

C’en est trop.

C’est l’heure de partir.

À l’aube du Rien, s’élève triomphant le Moi que détruit l’égalité des dieux.

Un Moi vigoureux qui, comme le diable qui rit, danse et prend son envol, en passant par-dessus les serviles et les indécis.

Nous n’obéissons pas, nous commettons des délits.

Nous ne jouons pas à être vivants, nous vivons pour de vrai.

Nous n’avons ni dieux, ni maîtres, ni partis, ni lois, mais nous n’avons pas non plus d’espoirs dans une société de morts.

Armé, de volonté et d’imagination, je provoque de grands incendies sur mon passage.

C’est du feu que crache mon démon qui est plus réveillé que jamais.

C’est du feu qui réduit en cendre toutes les valeurs sociales.

Nous sommes faits de feu, il ne nous brûle pas.

Nous rions. Nous dansons. Nous incendions.

Nous nous précipitons jusqu’aux sommets de la Vie, en laissant derrière nous une société qui n’est plus de cadavres mais de flammes.

Nous nous précipitons jusqu’aux sommets de la Vie, et unis en affinités Égoïstes, nous célébrons le Déclin Social.

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