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Entretien autour du Mouvement du 2 Juin, groupe armé en RFA

Mouvement2J"Nous avions les cheveux longs et aucune envie de travailler"

Un entretien avec Norbert Kröcher, dit Knofo, réalisé en décembre 2008 par Sergio Rossi à propos du Mouvement du 2 juin et de Berlin-Ouest lors de la période ’65-’75, traduit (en collaboration avec Marseille Infos Autonomes) depuis le blog de Salvatore Ricciardi Contromaelstrom.

knofo-abd97(Norbert Kröcher était rédacteur avec Ronald Fritzsch et P.P. Zahl de la revue FIZZ, de la gauche radicale berlinoise, de tendance anarchiste. Tous trois ont ensuite conflué dans le « Mouvement du 2 Juin ».)

Sur le Mouvement du 2 Juin, il est important de commencer par dire que ceux qui y ont conflué venaient d’un milieu complètement différent de celui de la Fraction Armée Rouge (RAF). Nous étions une grande majorité de prolétaires, tandis que la RAF venait de la petite ou de la haute bourgeoisie. Leur monde était complètement séparé et, de plus, les « classifications » sociales étaient alors beaucoup plus marquées. Aujourd’hui, il n’y a que les riches et les pauvres, mais à l’époque il s’agissait de subdivisions en classes au sens marxiste du terme. La provenance, la condition sociale de laquelle on venait jouait un rôle important. Il y avait les travailleurs, les employés, les commerçants et les marchands, la petite et la haute bourgeoisie. Et puis nous : le prolétariat, la couche la plus basse de la société. Parmi nous, il y avait aussi quelques sous-prolétaires qui, quand nous nous sommes politisés et avons commencé comme Gammler, sont restés à glander.

Nous avions les cheveux longs et aucune envie de travailler. Nous ne le faisions que lorsque c’était absolument nécessaire. Généralement des boulots de merde à la limite de l’esclavage : décharger des sacs de farine des bateaux, transporter des marchandises en fourgonnette, porter des pierres, etc. Dans cet ambiance, il y avait des sous-prolétaires qui sont par la suite devenus alcooliques ou toxicos. Des gens qui, une fois que la structure politique leur a enlevé les Gammler, sont devenus de simples vagabonds et se sont mis à tomber vraiment bas.

Encore sur les classes : en 1970, il y a une dispute entre Marcuse et Hans Magnus Enzensberger sur comment était la société de classes en RFA, si les classes existaient encore et comment se structurait la société. A cette occasion, tous deux ont postulé une chose intéressante, à savoir que les traditionnels cols bleus s’étaient transformés en cols blancs. C’est-à-dire que si quelqu’un portait auparavant un bleu de travail sur les machines, cette même personne est aujourd’hui en chemise devant une fraise informatisée et programme la pièce qui doit en sortir. Ce qui a conduit à la disparition de l’ouvrier en bleu de travail.

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Une histoire des Cellules Révolutionnaires (RZ), groupe armé en Allemagne de l’ouest

Cet entretien avec deux anciens membres de la Fraction Armée Rouge (RAF) et du Mouvement du 2 Juin retrace l’histoire moins connue d’un autre ’groupe’ de lutte armée en Allemagne de l’Ouest : les Revolutionäre Zellen, ’Cellules Révolutionnaires’. La rencontre s’est tenue au SO36 à Berlin.

Traduit de l’italien (en collaboration avec Marseille Infos Autonomes) du blog de Salvatore Ricciardi Contromaelström.

Chaque coeur est une cellule révolutionnaire

ENNO SCHWALL : En 1972 s’était créée une situation de retournement. C’est-à-dire que la première vague d’arrestations avait eu lieu, et quelques personnes de la Fraction Armée Rouge (RAF) avait été arrêtées. Mais malgré cela, on ne pouvait pas encore dire que la dynamique avait échoué. Il n’était politiquement pas encore du tout établi si l’idée était mauvaise ou non. D’un côté, il y avait les réflexions sur ce qu’il était possible de faire dans cette période de stagnation temporaire ou de césure, et de l’autre, il était temps de regarder en arrière, c’est-à-dire de voir ce que nous pouvions apprendre des expériences qui avaient existé jusqu’alors.

Différentes réflexions furent faites, desquelles naquirent les Cellules Révolutionnaires (RZ). Il y avait d’une part l’internationalisme, pour lequel la RAF a donné un exemple historique. C’est le mérite historique de la RAF que de l’avoir mis à l’ordre du jour. La deuxième chose, c’était la tentative de se référer à la réalité sociale et au tiers-monde, qui était une motivation très forte dans la groupe, dans la tradition de la RAF mais indépendante de celle-ci. Mais aussi que de nombreux prisonniers sortent, qu’ils soient pris en charge et que l’on ne puisse pas permettre que l’État décide de malmener les gens.

L’idée des RZ était, en opposition à celle de la RAF, qu’il fallait faire des actions qui puissent être imitées, qui puissent devenir des pratiques massives et qui, pour ainsi dire, soient acceptables. Ce que les RZ et les groupes faisaient devait être des choses que tous pouvaient faire. Voilà pourquoi on trouvait, dans le concept initial, l’invitation à « créer deux, trois, de nombreuses cellules révolutionnaires ».

C’était une stratégie importante, que de ne pas avoir de carte de militant de la lutte armée et de ne pas créer de hiérarchie des formes d’action dans la pratique, dans laquelle on ne présenterait pas comme un sommet la méthode d’intervention, mais plutôt le fait d’être le plus possible dans le social. En diffusant ce potentiel là où il y a un mouvement de masse qui grandisse partout socialement, là où il y a une attente qu’il se déroule un processus de libération, des zones libérées partout, des zones incontrôlées, libres de l’État, depuis lesquelles il soit possible de regarder dans quelle direction grandir. Et le fait d’avoir cette stratégie était en outre un signe distinctif important.

KLAUS VIEHMANN : Pour commencer, nous ne voulons pas faire de manifestation nostalgique. Nous pensons au contraire que la politique et l’histoire des RZ soulèvent aujourd’hui encore des questions qui sont en un certain sens intemporelles, et qui en 1978 déjà étaient formulées en tant que questions adressées à la gauche. Nous y reviendrons plus tard. Je voudrais clarifier que c’est ça qui nous intéresse, il ne s’agit pas d’une soirée d’anecdotes ni d’une exposition des temps passés.

Nous vous devons aussi quelques explications sur le pourquoi nous deux, Stefan qui était dans la RAF et moi dans le Mouvement du 2 Juin, faisons une conférence sur les RZ.

Il me faut pour cela faire un saut en arrière : en 1973, coup d’État au Chili. Ce fut un événement-clé pour les jeunes de l’époque. Pour moi, cela démontrait comment, dans une voie pacifique vers le socialisme (le front populaire était arrivé légalement au pouvoir en 1972, dans le gouvernement pour être précis), la bourgeoisie ou le pouvoir des complexes industriels comme ITT n’eurent aucun scrupule à étouffer par les armes une telle expérimentation socialiste. Pour moi et pour d’autres, ce fut un point important de se dire que si nous poursuivions un objectif socialiste, nous devrions nous préoccuper dès le début de l’armement et de la légitime défense contre de telles forces contrerévolutionnaires.

La question de la lutte armée, c’est-à-dire de son organisation, arriva alors au premier plan. « Chili, la lutte continue » était alors un slogan assez répandu, et les RZ ont justement fait leurs premières actions à Nuremberg et à Berlin sur ce sujet [Voir note 1].

J’ai été en contact avec le 2 Juin au milieu des années ’70. C’est moi qui ai cherché le contact. En 1976, je suis passé à la clandestinité, et ils m’ont arrêté en 1978. J’ai été en prison jusqu’en 1993. En 1978, quand j’ai fini dedans, j’avais déjà un procès en cours pour les actions des Cellules Révolutionnaires. Ce procès a ensuite été archivé, parce que 15 ans m’attendaient déjà pour les actions du 2 Juin, et qu’ils ne voulaient pas faire (ou me faire) un procès inutile. J’ai connu en personne Gerd Albartus et Enno Schwall, qui m’ont rendu visite en prison.

Quand plus tard, en 1983, moi et Stefan avons fait des actions dans deux prisons différentes contre les travaux forcés, les RZ ont fait dehors quelques attentats à la dynamite en soutien et l’ont même écrit dans la revendication : Continue reading Une histoire des Cellules Révolutionnaires (RZ), groupe armé en Allemagne de l’ouest