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Italie : Cadeaux de Noël

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Il y a quelques jours, nous nous plaignions du fait que la discussion autour des « incendies de Noël », potentiellement riche de points intéressants, aie déraillé avant même de naître. A plus d’une semaine de distance et malgré l’invitation des compagnons de Bologne de la remettre sur les rails, la situation nous semble en fait avoir empiré. Essayons donc d’y offrir nous aussi une contribution : qui sait si cela sera utile. Une note de méthode, avant de commencer. Le « nous » qui parle dans ces lignes ne se réfère ni à un individu sujet à des délires d’omnipotence, ni à des groupes particulièrement élargis de compagnons : ceux qui parlent ici sont simplement les rédacteurs de Macerie.

Sous sous une proposition

Reprenons depuis le début. Au cours des nuits précédant Noël dernier, d’abord à Florence et ensuite à Bologne, quelqu’un met le feu aux câbles du mécanisme de gestion et de contrôle du trafic de la ligne à Grande Vitesse. Matériellement, il y  peu de dégâts, mais dans les deux cas, le système fait tilt et les retards s’accumulent aux retards, dès l’aube – et ça, c’est un dégât conséquent. Personne ne se fait mal, ou n’aurait pu se faire mal ; simplement, deux fois en quelques jours, la circulation ferroviaire est compromise sur ces tronçons, en particulier ceux des trains super rapides.

Le lien entre ces faits et la lutte contre le TAV surgit de façon spontanée, puisque ce sont justement des canaux et des transformateurs électriques de la nouvelle ligne qui sont partis en flammes ; du reste, il y a quelques années déjà que de gros groupes d’opposants au train armés de banderoles et de  drapeaux envahissent périodiquement les voies dans toute la botte, pour bloquer les Frecciarossa, Frecciabianca et Frecciargento – ou les TGV de passage – en repeignant parfois les wagons, mais qui provoquent toujours des retards en chaîne sur les lignes. Il n’est pas complètement fou que parmi les milliers et milliers d’opposants au train super rapide se trouvent également des gens qui, ce Noël, ont voulu expérimenter un différent moyen d’obtenir le même effet que ces blocages déjà si répandus. Rien de particulièrement nouveau, par ailleurs : il y a moins d’un an, ouvertement déclaré en solidarité avec les arrêtés du 9 décembre, quelqu’un a bloqué la ligne à la hauteur de Rome en lançant une chaîne pourvue de briques à chaque extrémité sur les câbles, et personne n’a exprimé de suspicions particulières ou n’a eu quelque chose à en redire.

Seuls ceux qui y étaient peuvent dire pourquoi ce qui est arrivé est arrivé, mais il nous semble qu’il s’agit somme toute d’une situation limpide. Pour leur part, les journalistes et les politiciens ont fait leur métier, et de la façon habituelle, en brandissant une terreur et un terrorisme qui n’existent ni au ciel ni sur terre : après les incendies de Noël, les usagers habituels de la Grande Vitesse n’auront certainement pas peur de prendre ce train, ou alors seulement parce qu’ils sauront que ce train est tellement mal vu qu’il…arrive souvent en retard ; ceux qui ont subi les retards en chaîne sur les trains « normaux » n’ont eu aucune raison non plus d’être terrorisés. Parmi les passagers, il y aura certainement aussi eu des gens qui, solidaires avec la lutte contre le TAV, se seront marrés ; et puis d’autres qui auront été bien satisfaits d’avoir une bonne excuse pour rater quelques heures de travail. Les autres, la majorité, se seront simplement énervés ou seront restés indifférents, comme pour tous les blocages faits avec les banderoles et drapeaux de ces dernières années. Mais il ne suffit certainement pas d’une accointance de lieu et de date pour faire un parallèle avec les stragi de la gare de Bologne*, de l’Italicus** ou du Rapido 904***, qui ont sans doute possible été des épisodes de terrorisme, mais qui ont ici autant de rapport que des choux au petit déjeuner. Du reste, l’intelligence des journalistes est une chose mystérieuse et insondable, et il n’est pas toujours facile de comprendre où termine le raisonnement malveillant et la provocation étudiée (comme ces rapprochements abusifs) et où commence le simple laisser-aller, la tendance continue à la bêtise (comme dans le cas des signatures graffitis prises pour « la revendication No TAV »).

Malgré la confusion semée par les journaux et les politiciens, et surtout en absence d’éléments contraires, qui nous semblent inexistants dans le cas présent, il n’y a aucun sens de se demander, comme certains l’ont fait : « Mais ce sont vraiment « des nôtres » qui l’ont fait ? Ou il y a quelque chose qui se trame dans l’ombre ? ». Ce qui a du sens, par contre, c’est que chacun se demande si ces faits ne portent pas avec eux une proposition adressée à tous, si cette proposition est sensée, acceptable ; si elle est à défendre et à reproduire ou, au contraire, à laisser retomber dans le vide.

Possibilité à cueillir, ou pas

Du reste, il y a un an et demi, les choses se sont déroulées plus ou moins comme ça. On s’est réveillés le matin avec la nouvelle de l’attaque du chantier du 13 mai, avec les journalistes et les politiciens qui piaillaient et alimentaient la confusion. La « nuit du compresseur » portait en soi des éléments de rupture – que ce soit d’un point de vue organisationnel que de celui du choix des instruments pratiques – par rapport à ce qu’à ce moment-là le gros du « mouvement No TAV » était disposé à pratiquer et à soutenir, mais aussi des éléments de grande continuité : c’était un pas, une possibilité en plus qui ne pouvait évidemment pas être proposée, discutée et organisée dans les assemblées populaires ou dans les coordinations des comités, mais qui répondait (adéquatement ou non, ce n’est pas le sujet ici) à une nécessité de la lutte. De fait, quelqu’un a donné sa propre lecture de la situation, en a discuté et s’est organisé avec ceux qu’il préférait et, la nuit du 13 mai 2013,  fait ce qu’il avait à faire. Ce n’était certes pas la première fois que quelque chose du genre arrivait, mais jamais avec autant de force. Et comment a réagi, de son côté, le « mouvement No TAV » ? Il a lu cette nuit comme ce que, à notre avis, elle était : une proposition. Pour être clairs, lorsque nous parlons de « mouvement No Tav », nous le faisons dans la seule acception de ce terme qui nous plait, à savoir l’ensemble vivant, multiforme et privé d’une logique univoque qui recouvrerait ceux qui s’opposent à la construction de la ligne du super-train. Et c’est pour cela même que l’on ne pouvait clairement pas s’attendre à ce que cette proposition soit accueillie de façon unanime, ni univoque, ni définitive non plus. Où et quand vérifier une éventuelle unanimité ? Comment éviter que, de cette « nuit du compresseur », chacun ne prenne que ce qu’il veut et peut, ou que cette proposition ne soit favorablement accueillie que pour ne pas se retrouver hors jeu ? Et, enfin, nous sommes convaincus que le slogan « indietro non si torna » [”On ne retourne pas en arrière”] est un slogan qui décrit bien la fermeté et la détermination, mais pas la réalité des luttes où l’on doit être toujours disposés à recommencer depuis le début. Mais nous pouvons dire que, au moins en ce qui concerne son aspect le plus immédiatement pratique (l’usage du sabotage), cette proposition a été jugée comme positive par une frange considérable du mouvement, et les mots d’ordre hurlés à en perdre la voix après les arrestations de Chiara, Niccolò, Claudio et Mattia le démontrent suffisamment, nous semble-t-il. Son aspect méthodologique, c’est-à-dire la possibilité de s’organiser en-dehors des assemblées populaires et des coordinations des comités est par contre demeuré globalement dans l’ombre, et nous pouvons dire que cela n’a pas été entièrement digéré : cela est parfois accepté, comme dans le cas des sabotages survenus en Vallée l’été 2013 contre les entreprises impliquées dans l’affaire, et parfois non. Et l’air de ces derniers jours nous semble le démontrer.

Si ce n’est maintenant…

Revenons-en donc aux faits de Noël. Selon nous, ces incendies ont été une bonne idée. La ligne à Grande Vitesse est, selon l’expression dont on abuse et très banale, un géant aux pieds d’argile : les soldats enfermés à double tour dans le chantier de Chiomonte ne peuvent certainement pas suffire pour surveiller des centaines et des centaines de kilomètres de voies qui, dispersées dans tout le pays, sont un peu les nerfs à vif d’une Grande Oeuvre qui n’est pas haïe et n’a pas fait de dégâts qu’en Val di Susa. A travers la lutte de ces dernières années, les Valsusains ont conquis une sympathie, dans toute l’Italie, qui s’est souvent transformée en soutien concret et déterminé ; et il y a aussi les gens qui sont opposés au TAV et qui sont disposés à se battre au-delà des histoires spécifiques de la lutte dans la Vallée. De plus, avec les rassemblements devant les auberges, les entreprises et les blocages de gares, les lieux dans lesquels se déroule la lutte se sont déjà extraits du seul chantier. Pour cela, le saut ne nous semble pas du tout incompréhensible, et la suggestion de ces nuits de Noël aurait pu encore être reprise, et ailleurs : la qualité des initiatives telles que celles-ci résident dans leur potentiel aspect quantitatif, c’est-à-dire dans la possibilité que, ne semblant pas complètement extraterrestres au contexte ni difficilement réalisables, celles-ci soient reprises par d’autres et répétées, augmentant leur caractère incisif. Il est vrai que des initiatives telles que celles-ci échappent, du fait de leur nature, aux discussions publiques préalables, et posent aussi des problèmes pour la discussion de l’immédiateté de l’ensuite – alors qu’il faut déjà toujours faire gaffe à ce que nos perplexités ne finissent pas par indiquer aux flics, par élimination, les suspects sur lesquels enquêter. Mais il est également vrai que, si l’on ne se sentait pas obligés de répondre à chaque sifflement des journaux, on pourrait trouver une façon de se confronter, parce qu’il est toujours important de discuter et de critiquer ; et il est encore vrai que lorsque les propositions sont inadéquates dans une situation donnée, elles ne trouveront tout bêtement personne pour les accueillir, et mourront d’elles-mêmes. Et puis, il faudrait se résigner au fait que le « mouvement No TAV » ne peut être une signature, ni un seul contexte organisationnel, mais un ensemble beaucoup plus vivant et hétérogène où il n’est pas forcément obligatoire d’être tous d’accord et où personne ne peut prétendre tout contrôler. Cette fois, les choses sont allées au-delà de ça, avec les affirmations objectivement délatrices contenues dans un bref article publié par l’un des sites les plus suivis du mouvement. Des affirmations corrigées par leurs propres auteurs le jour suivant, quand elles avaient déjà largement circulé, finissant jusque dans les journaux. Ce ne sont que ces tout derniers jours que les auteurs ont publiquement admis, à la fois par écrit et dans les assemblées, qu’ils avaient fait une erreur. Il est important qu’il l’aient reconnu, étant donné qu’il est fondamental de signaler qu’il n’y a pas de polémique qui justifie ce genre de dérapages ; et s’ils l’avaient fait plus tôt, nous aurions évité cette longue série de communiqués, rédigés avec des tons et des manières diverses, et parfois tout sauf précis, qui demandaient des comptes. Et il aurait été possible de discuter de choses plus intéressantes.

En somme, ces incendies nous semblaient être une bonne idée à Noël, et ils nous semblent être une bonne idée encore à présent. Cela dit, si ce qui semble être une bonne idée ne fonctionne pas ou ne prend pas racine, on peut aussi, à un moment, la mettre de côté et… la garder sous le coude pour quand elle pourra s’enraciner et fonctionner. Et le point central est peut-être celui-ci. Chacun d’entre nous peut évaluer le caractère adéquat d’une proposition donnée dans une situation donnée, puis conclure : « pas mal du tout cette idée, dommage que ça ne soit pas le meilleur moment ». Mais ensuite, les efforts doivent être faits pour que demain puisse se faire ce qu’il n’est pas possible de faire aujourd’hui, parce que si certaines conditions qui rendent adéquat au contexte un fait particulier sont imprévisibles et tout à fait séparées de notre volonté, d’autres dépendent de nous, de la clarté de nos discours, de la direction dans laquelle nous décidons d’aller. Ceux qui ont pensé que les sabotages de Noël étaient une bonne idée en théorie, mais à mettre en pratique à un autre moment de la lutte (par exemple lors d’un des pics combatifs du mouvement, comme juste après la chute de Luca du pylône ou à certains moments du procès des quatre du 9 décembre) et parlent maintenant de ces initiatives comme de dépréciables « chiffons imbibés d’essence » n’en favoriseront certainement pas la reproposition, mais au contraire, en éloignera à l’infini la mise en pratique. Un raisonnement identique peut se faire pour ceux qui pensent que le sabotage est effectivement un bon outil, mais à utiliser au compte-gouttes, puisqu’il n’a pas encore été digéré par le gros du mouvement, qui l’estime utilisable contre le chantier et ses prolongations dans la Vallée seulement, et non pas contre les lignes déjà en fonctionnement : il faudra alors trouver les moyens pour en favoriser la digestion, avec des discussions et avec des propositions pratiques. Et il nous semble que l’exact contraire a été fait : nous comprenons la fougue polémique, mais quelque chose ne nous va pas.

Est-ce tout ? Non, nous voudrions, au moins pour cette fois, vous indiquer deux facteurs apparemment opposés qui contribuent tout deux à ranger un peu trop vite de côté la proposition contenue dans les incendies de Noël : l’éternelle théorie du complot et l’opposition entre ces épisodes et la lutte « dans la Vallée ».

Sombres ficelles et réflexes conditionnés

Il existe en Italie une mentalité diffuse qui veut toujours voir sous la superficie des choses des complots cachés et des intelligences occultes qui ont le pouvoir et la capacité d’organisation pour mettre sur pied des raisonnements machiavéliques et sans scrupules. Des grandes trames obscures, il y en a eu, et il y en aura d’autres – Piazza Fontana**** nous l’a tristement appris. Et il y a et il y aura toujours des toutes petites trames de complot, faites de calculs individuels mesquins, comme dans le cas récent du chauffeur de Rinaudo. Mais bordel, on ne peut pas transformer cela en moteur du monde ou, plus banalement, en clé de lecture pour tout ce que l’on ne comprend pas ou qu’on ne partage pas. Il y a des éléments concrets, factuels, des contradictions grosses et visibles dans les faits qui se produisent, pour autant que nous puissions les connaître. Pour faire un exemple simple : le tag du Nouvel An attribué à Noa, qui énumère à tort et à travers des noms de compagnons, et menace, et promet sans rien faire, est évidemment un bobard bon pour les journaux en mal de titres ronflants (qu’il s’agisse d’un faux étudié et organisé ou, plus simplement, de l’accouchement de travers d’un mythomane, nous ne nous hasarderons pas sur ce terrain). Mais dans le cas des incendies de Noël, la seule chose « bizarre » n’est pas dans le fait en soi, mais dans la narration qu’en ont fait les journaux, dans la démence manifeste avec laquelle ils ont préparé les fotogallery du graffiti. Mais que les journalistes soient sélectionnés pour leur bêtise et pour le mauvais fonctionnement de leurs synapses est un mystère que nous avions déjà découvert depuis quelque temps. Ou devrions-nous peut-être donner du crédit au juge Imposimato qui, en vertu de sa longue expérience et du haut de son profil facebook, nous informe que ces incendies sont une « stratégie de la tension » : et qui le lui a dit, à celui-là ? Et sur la base de quels éléments, de quel raisonnement, de grâce ? Et accepter aujourd’hui de lui donner un peu d’espace, à lui, n’est-il pas un peu semblable à si dans n’importe quelle lutte du futur, nos enfants acceptaient de se faire donner la leçon par Rinaudo ? Avec trente ans de plus, un peu de bide et un dentier, il ferait un parfait expert en terrorisme…

Soyons sérieux. Nous ne pouvons fournir aucune recette prémâchée pour identifier les canulars et les provocations et séparer à coup sûr, comme on dit, le bon grain de l’ivraie. Mais si nous ne pensons pas l’avoir nous-mêmes, nous ne pensons pas que qui que ce soit d’autre l’aie. Et puis c’est vrai : les désirs influencent le regard, et la confiance que nous avons dans l’initiative parfois individuelle, dans la détermination parfois éparpillée de ceux qui veulent se jeter dans la bataille contre le super-train, peut jouer de sales tours et nous faire prendre des lucioles pour des lanternes. Mais le comportement contraire, celui un peu esthétique de ceux qui prétendraient que tout se passe sous leur contrôle préventif, celui de ceux qui voudraient que ne se produisent que les choses qu’eux jugent opportunes, crée des effets qui nous semblent pires, puisque cela contribue à rogner les ailes à des possibilités de lutte qui peuvent par la suite nous servir à tous ; ou bien, ce qui revient plus ou moins au même, à empêcher la discussion à propos de propositions qui, comme cela peut arriver, sont simplement erronées ou mal placées.

Ces quelques lignes ne suffiront certainement pas à convertir les complotistes à tout prix, nous en sommes bien conscients, et nous sommes également conscients que cette mentalité suspicieuse que nous critiquons est très enracinée et n’est pas exclusive aux gens de mauvaise foi : il suffit d’aller faire un tour dans les contextes dans lesquels les luttes parviennent à impliquer non seulement les militants plus ou moins professionnels mais aussi les gens communs, dans les contextes dans lesquels le tissage des luttes rend possibles des discussions directes en éludant un instant le phantasme de « l’opinion publique », pour se rendre compte que l’hypothèse du complot est un réflexe conditionné qui se déclenche chaque fois que se passent des choses que l’on a du mal à comprendre et à partager. C’est pour cette raison que ceux qui, comme nous, critiquent cette mentalité, devraient arrêter de hurler, du sang plein les yeux, « politiquards opportunistes » [politicante paraculo] chaque fois qu’ils la voient réémerger périodiquement. Non pas parce qu’il n’y aurait personne qui lui donne de l’espace par simple calcul politique et pas non plus par conviction propre avec pour unique objectif de déqualifier des pratiques plus généralement ou à certains moment retenues non opportunes  : il y en a, et comment, qui continueront de le faire tant qu’ils trouveront un terrain fertile dans les milieux de lutte. Et nous ne pouvons intervenir sur ce terrain seulement si nous apprenons d’un côté à critiquer ce réflexe conditionné et, simultanément, pousser vers la compréhension critique des faits qui l’ont déclenchée.

Bloqués au presbytère

Des dommages identiques risquent certainement d’être provoqués, paradoxalement, par certains des défenseurs les plus ardus de ces incendies de Noël. Déjà parce que dans ce chaudron, on trouve aussi certaines personnes qui ont voulu pointer une opposition nette, très nette, entre la lutte dans la Vallée et les sabotages de Bologne et de Florence : là-haut, tout est nase, comme il a été dit, et ces sabotages sont un bon moyens de ne pas y mettre les mains au milieu, mais à distance de sécurité. Là-haut, en montagne, parlementaires, maires, magistrats, écrivains boudeurs et glissants et tous types d’animaux politiques ; ici-bas, de nuit le long des voies, ceux qui sont contre le super-train mais aussi contre le Parlement, les Mairies, les Tribunaux, les artistes engagés, la basse politique des groupuscules et tout ce que ceux qui en ont voudront bien y rajouter. En somme, les anonymes et inconnus saboteurs de Noël auraient adressé leur proposition… aux anarchistes ! Et même pas à tous, parce que si en ce qui concerne le Parlement, les Mairies et les Tribunaux, les anarchistes sont d’accord entre eux, le débat est encore ouvert sur l’art et le militantisme. Si la proposition est celle-ci, il est évident qu’elle ne pourra pas s’étendre plus que ça et encore moins « déborder » : les anarchistes sont ceux qu’ils sont, ont les forces qu’ils ont, et le gros du « mouvement No TAV », sur ces sujets, a des positions des plus variées et disparates. Il en resterait donc forcément des bouts laissés de côté. Certes, il n’y a pas que le « mouvement No TAV » ! Mais nous ne voyons vraiment pas comment et pourquoi un exploité de San Zenone au Lambro, qui en a plein les couilles d’une vie d’exploitation, finalement déterminé à combattre mais tout à fait ignorant des débats du mouvement, doive reprendre ces bons exemples de Noël dans un sursaut de rage. Il ira beaucoup plus probablement mettre un bon coup de boule au responsable d’Equitalia de son bled, ou à son chef au travail : il fera une chose bonne et juste, donnant peut-être par là un exemple contagieux prêt à se diffuser en tâche d’huile et sans rien d’autre à soutenir mais… ceci est une autre histoire.

Rendons-nous clairs : nous ne sommes en rien opposés au fait que les anarchistes, sur le TAV ou sur autre chose, se fassent de temps en temps des propositions, y compris de cette façon, y compris à distance. Par contre, il n’est pas possible de s’attendre à ce qu’il se passe autre chose que ce les anarchistes sont en capacité de déterminer directement. Dans le cas présent : quelque sonnerie, un peu de carillons… Nous manquons peut-être de charité de Patrie, mais nous tendrions à exclure les volées de cloche.

Comme toujours, chacun voit dans les choses ce qu’il veut y voir. Et nous, dans les incendies de Noël, nous avons voulu y voir une proposition adressée au « mouvement No TAV » qui, par chance, est autre chose qu’une simple accumulation de petits groupes politiques. Une proposition qui aurait pu être accueillie favorablement et, qui sait, peut-être pu déborder ; si cela c’était passé ainsi, ceux qui nous ont collé cette opposition ne lui ont certainement pas rendu service, puisqu’ils contribuent à l’enfermer dans une dispute entre paroisses militantes. Et les cloches de ces paroisses ont effectivement sonné à la volée ces derniers jours.

Macerie, 19 janvier 2015
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Notes de Contra Info : * Le 2 août 1980, une bombe explose dans la gare de Bologne, tuant 85 personnes et blessant plus de 200 autres. Cette bombe y a été placée par les Noyaux Armés Révolutionnaires, un groupe néo-fasciste armé de l’époque.
** Le 4 août 1974, une bombe explose dans le train Italicus, tuant 12 personnes et en blessant 48 autres. L’organisation néofasciste Ordine Nero revendique l’attentat.
*** Le 23 décembre 1984, une bombe explose dans le train Naples-Milan, provoquant 17 morts et 265 blessés. Des mafieux seront condamnés pour cet attentat.
**** Le 12 décembre 1969, une bombe explose dans la Banque de l’Agriculture sur Piazza Fontana, à Milan, provoquant 16 morts et 88 blessés. Les anarchistes ont d’abord été accusés, avant que tout n’indique que l’attentat venait des milieux néofascistes.

Italie : Lettre de Francesco Sala depuis la prison de Crémone

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Il n’y a pas de temps à perdre

La seule chose à propos de laquelle tous étaient certains en ce qui concerne le procès du « compresseur », c’est qu’il ferait cas d’école.
Les docteurs de la loi en étaient sûrs, eux qui auraient eu d’autres sentences de Cassation à citer dans leurs raisonnements pour conforter leurs propres thèses.
Les avocats en étaient sûrs, eux qui n’avaient jamais affronté une accusation aussi créativement formulée.
Et puis les journalistes (et la chose est vraiment notable), qui ont été les premiers à utiliser le mot terrorisme dans un contexte aussi populaire que l’est le mouvement No TAV.
Avec autant de nouveautés, on comprend bien comment on est en train d’assister à Turin, au-delà d’un procès, à une expérience répressive de grande portée.

Que les recours avancés par les mouvements soient déclassés par le Pouvoir en place vers de simples questions d’ordre public, il n’y a là rien de nouveau en soi… Depuis Spartacus, il n’a pas été de subversif qui n’aie été traité en tant que criminel.
Mais le glissement conceptuel vers une idée de terrorisme englobant tout que cette enquête veut mettre en place mérite, je crois, une certaine attention.

Aujourd’hui, dans les nouvelles formes de l’économie globale des flux, l’État a perdu tout résidu de cet adjectif « social » qu’il avait souvent utilisé, lors des décennies précédentes, comme contre-poids de la répression. Son rôle se réduit à celui de gendarme d’une société toujours plus fragmentée et toujours moins gérable. Mais un Pouvoir qui sait gouverner seulement à travers l’instrument jacobin de la peur est pris de panique pour chaque petite virgule ne se trouvant pas bien à sa place et qui pourrait menacer son ordre. Et c’est pour cela qu’il a une faim incessante d’outils répressifs toujours plus nombreux.
Au sein de la société de la communication, la forge de ces outils réside dans le discours de la Peur véhiculé par les médias.
Lentement, mais constamment, les manifestations, les recours, les idées, les actions et n’importe quel acte qui mette en lumière une alternative à l’existant se teinte d’une inquiétante couleur criminelle-offensive qui met en danger sa sécurité.

Et voilà que, lentement, on fait tomber des affirmations toujours plus infamantes et effrayantes, jusqu’à en arriver au terrorisme ; mot qui, après le 11 septembre, a fait enregistrer beaucoup de ventes aux journaux, prêts à l’utiliser au moindre soupçon. On sait en effet que rien ne vend plus que les émotions et le sensationnalisme. Et le terrorisme réussit à faire confluer les deux sous un unique terme.

Jusqu’à il y a quelques années seulement, le « terrorisme » était un terme que l’on associait uniquement à des attentats aveugles contre la population civile (dont la plus célèbre, comme c’est étrange, fut orchestrée à l’usage et au bénéfice de ceux qui voulaient un tournant réactionnaire…). Mais nous voyons toujours plus souvent comment le terme est utilisé avec désinvolture par les soi-disant organes d’informations et, parallèlement, toujours plus souvent, comment les héroïques appareils de l’Antiterrorisme sont voués à élargir leur champ d’action, jusqu’à inclure récemment les expulsions de maisons occupées.
Comme on l’a dit, en ces temps incertains et de crise, le moindre signe d’insubordination doit être sévèrement réprimandé, et toute hypothèse d’organisation alternative de la vie, par rapport à celle en vigueur, devient immédiatement scandaleuse. Et, comme on l’a vu, la réponse du Pouvoir face à tout cela est hystérique, décomposée et vindicative.

Un comportement semblable de la part d’une institution est le signe le plus évident d’à quel point celle-ci a peu à offrir à ses sujets, sinon l’incessante reproduction d’elle-même.
Celles et ceux qui ont à cœur l’émancipation humaine et croient en des communautés tenues ensemble par la solidarité mutuelle et par les affects personnels, ont peu à partager avec ceux qui croient à une société d’individus rangés et tenus ensemble par la peur du prochain et par des liens économiques de convenance.

Terrorisme et Victimisme (son double spectaculaire) sont des concepts utiles pour ceux qui veulent gouverner, avec le peu de moyens encore à disposition, le marasme social qu’est devenu la société grâce à l’action incontestée d’un capitalisme de vol et de pillage.
Le paradigme économique libéral a créé la (triste) organisation sociale actuelle, qui a besoin d’une violence quotidienne contres les exclus des bénéfices de son économie pour se perpétuer, ainsi que d’un permanent sens de l’incertitude (qu’il a lui-même contribué à créer) qui rende les gens plus disponibles à l’obéissance.

Voilà ce que nous offre l’existant.

Celles et ceux qui pensent que l’économie est un moyen pour pourvoir aux nécessités matérielles et non un outil d’enrichissement par expropriation, celles et ceux qui pensent que l’affectivité dépasse les schémas rigides de la famille, celles et ceux qui pensent qu’une horloge n’est pas un outil pour découper le cadavre de journées toujours égales, et en définitive celles et ceux qui croient en l’alternative scandaleuse de l’émancipation humaine, doivent sentir l’urgence de s’organiser pour donne vie aux rêves qui les alimentent et pour créer une alternative réelle qui puisse résister à l’écroulement des ruines d’une réalité misérable.

Commençons dès aujourd’hui.

Amor y Rabia

Fra

Crémone, 30/11/2014

Francesco Sala
Casa Circondariale

via Palosca 2 – 26100 Cremona, Italie

Italie, NoTAV : Graziano, Francesco et Lucio eux aussi accusés de terrorisme

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A exactement un an des arrestations de Chiara, Claudio, Mattia et Niccolò, et à un peu plus d’une semaine des réquisitions énoncées contre eux, l’accusation de terrorisme est désormais aussi portée contre Lucio, Francesco et Graziano. En prison depuis juillet, les trois n’étaient accusés jusqu’ici “que” de détention et de transport d’armes de guerre, de dégradations par incendie et d’autres délits mineurs, auxquels s’ajoutent ce matin les articles 280 et 280bis : l’attentat à finalité terroriste. Cette déplaisante surprise a été accompagnée de la perquisition de leurs cellules, avec mise sous scellés de diverses choses, le tout incluant aussi le blocage des parloirs. Un parent et une amie autorisé-e-s de façon régulière ont en effet été repoussé-e-s ce matin, et informé-e-s qu’ils devront requérir de nouvelles autorisations. Nous ne savons pas encore si, comme cela a été le cas pour les 4, les parloirs seront bloqués pour un certain temps, ou s’il s’agira dans ce cas seulement d’une brève suspension. Sur le moment, il n’est pas non plus possible de prévoir où et quand les trois seront transférés, puisque l’accusation de terrorisme prévoit un régime de détention de Haute Sécurité.

Pour sortir, enfin, de ce qui ce passe dans les salles des tribunaux et dans les instituts pénitentiaires, plusieurs centaines de personnes ont parcouru et bloqué les routes de Val Susa ces derniers jours, pour les libération des sept compagnon-ne-s en prison. Dans la nuit de dimanche, un long et bruyant cortège a traversé la ville de Susa, en s’arrêtant en particulier devant l’hôtel Napoleon où, à l’aide de fumigènes et de bruits de métal, a été dérangé le repos des forces de l’ordre qui y sont logées. Le jour suivant, le 8 décembre, anniversaire de la bataille de Venaüs en 2005, deux groupes de manifestant-e-s ont tenté d’atteindre la zone du chantier depuis deux endroits distincts. Un groupe s’est retrouvé à Giaglione et est parvenu, par les sentiers, à contourner les barrages des forces de l’ordre et à rejoindre le chantier, où tout le monde a battu sur les grilles. Le groupe qui s’était donné rendez-vous à la Centrale de Chiomonte s’est trouvé face à un blocage des forces de l’ordre sur le pont en face du portail de la Centrale et a donc décidé de remonter vers la nationale 24, qui a été bloquée durant plusieurs heures. D’autres gens se sont dirigés vers la gare la plus proche, où le passage d’un TGV a été bloqué par l’occupation des voies. A la fin de l’après-midi, un gros groupe de manifestant-e-s est retourné vers la Centrale, où a commencé un long battage de métal, qui n’a cependant pas trouvé de succès auprès des forces de l’ordre, qui ont répondu avec des canons à eau et des lacrymogènes.

La journée s’est achevée comme ça, et tout le monde s’est donné rendez-vous le 17 décembre, jour du rendu du procès.

A 09 heures dans l’Aula Bunker pour saluer Chiara, Claudio, Mattia et Niccolò et, dans l’après-midi, à 17h30, sur la place du marché de Bussoleno pour décider quoi faire après le verdict de la Cour d’Assise.

Macerie, 9 décembre 2014

Lyon/Turin – Terzo Valico, Italie : Le sabotage est compagnon de celles et ceux qui luttent

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Ci-dessous, la traduction du texte d’un tract distribué lors de la manifestation du 21 novembre contre le Terzo Valico :

Mêmes intérêts, même police, une seule lutte.

Du 14 au 22 novembre, le Mouvement No TAV a appelé a une semaine de mobilisation en solidarité avec Chiara, Claudio, Mattia et Niccolò, accusés de terrorisme pour le sabotage d’un engin sur le chantier de la grande vitesse de Chiomonte dans la nuit du 13 mai 2013. Les procureurs de Turin Andrea Padalino et Antonio Rinaudo ont récemment requis contre eux des peines de 9 ans et 6 mois de prison.

Conscients du fait que le Terzo Valico entre Ligurie et Piémont et la grande vitesse en Val di Susa sont deux parties du même projet de dévastation et d’exploitation du territoire, toutes deux conséquences de l’actuel modèle de développement et utiles à ce que les intérêts d’un petit nombre prévalent à ceux de l’ensemble, nous pensons que la meilleure façon d’exprimer notre solidarité envers nos compagnon-ne-s et leurs pratiques est de continuer la lutte.

La course continue vers ce progrès qui nous fait tant déchanter, et dont le seul effet est l’incessante destruction de la planète, nous est présenté comme étant l’unique scénario imaginable, sans possibilité de choix. En réalité, ce n’est pas le cas : nous choisissons de lutter avec tous les moyens que chacun jugera nécessaires.

Mais les formes de protestation qui se cantonnent aux limites définies par l’État n’ont aucune efficacité. Les dernières inondations l’ont démontré : les manifestations de mépris et d’indignation des années précédentes tout comme les plus actuelles n’ont servi qu’à vendre plus de papier imprimé sans incommoder le moins du monde ceux qui sont aux commandes. Une fois la situation d’urgence terminée, tout redevient comme avant, avec quelques votes en plus que ceux qui ont été capables de montrer le plus d’indignation et d’empathie dans le malheur auront gagné. En attendant un autre désastre.

La même chose vaut pour le Terzo Valico, par rapport auquel les diverses manifestations contre les chantiers ne sont pas parvenues le moins du monde à en gêner l’ouverture, et ont même au contraire été enveloppées de l’indifférence de la plus grande partie des gens qui semblent tout accepter de bon cœur, avant de s’étonner ensuite que le terrain sur lequel travaillent les entreprises pour réaliser ces grands travaux se détériorent.

Il est aujourd’hui plus que jamais fondamental de dépoussiérer ces pratiques qui causent de réels dommages aux intérêts du Capital et de ceux qui en sont les complices conscients, des pratiques qui ont toujours été le patrimoine commun des exploités.

C’est justement pour cette raison qu’il nous enchante de savoir que l’illustre pratique du sabotage est sortie de Val Susa et est apparue à Gênes au sein de la lutte contre le Terzo Valico, à travers les sabotages d’une vingtaine d’engins des chantiers de Trasta, d’Erzelli et de la zone de Castagnola, et plus récemment au cours de la grève générale du 14 novembre, quand d’anonymes travailleurs ont tranché les câbles à l’intérieur du centre d’opération de l’AMT, empêchant la communication entre les transports publics et la centrale : de Chiomonte à Gênes, le sabotage est compagnon de celles et ceux qui luttent.

Cette splendide nuit de mai, nous étions tou-te-s là, et nous avions tou-te-s bien en tête que le sabotage des engrenages du TAV est possible.

Solidarité avec toutes les personnes arrêtées et sous enquête
Solidarité avec celles et ceux qui s’opposent et luttent contre la dévastation et l’exploitation des territoires !