Asphyxie pour une bouffée de liberté.
Le printemps dernier, je me suis présenté aux examens à l’intérieur de la prison, et je suis entré à la faculté universitaire d’Athènes. Selon leurs lois, j’ai droit depuis septembre 2014 à des sorties de prison éducatives, pour assister aux cours de la faculté.
Comme il fallait s’y attendre, mes demandes ont fait chou blanc, ce qui me porte à revendiquer cette demande en utilisant mon corps en tant que barricade.
A ce point, il me faut expliciter ma logique politique, pour donner un contexte à la décision que j’ai prise.
Les lois, au-delà d’être des outils de contrôle et de répression, sont aussi un outil de maintien d’équilibres, ou de ce qu’on nomme en bref contrat social, reflètent la balance socio-politique et forment partiellement quelques-unes des positions de la guerre sociale.
C’est pour cela que je veux que la décision que je prends soit la plus claire possible. Je ne défend pas leur légitimité, au contraire, je leur fais un chantage politique afin d’obtenir quelques souffles de liberté de la condition destructrice de l’enfermement.
Il s’ouvre alors une réflexion qui a à voir avec nos exigences en état de captivité. Il est évident que les contradictions ont toujours été présentes, et continueront de l’être, sous ces conditions. Nous autres, par exemple, avons participé à la grève de la faim massive contre le nouveau projet de loi des prisons de haute sécurité, bien que nous soyons des ennemis déclarés de toutes les lois. De la même façon, de nombreux compagnons et de nombreuses compagnonnes ont négocié les termes de leur enfermement en utilisant leur corps comme barricade (prisons préventives “illégales”, refus de la fouille corporelle, permanence dans une prison déterminée), et ils ont bien fait.
La conclusion, donc, est que depuis la condition dans laquelle nous sommes, nous nous voyons souvent contraint-e-s d’entrer dans une guerre stratégique de positions qui, dans notre situation, est un mal nécessaire.
Par ce choix que je fais, dont les caractéristiques politiques se concrétisent dans le titre de ce texte, une possibilité d’ouvrir un front de lutte s’ouvre dans une conjoncture qui est cruciale pour nous tou-te-s.
“La poésie est l’art du résiduel. Elle est l’insoumis quand l’ordre du diaphane fait son compte de tous les discours. […] La poésie est incompatible ou elle n’est rien.” (Jean-Marc Rouillan)
Compagnon-ne-s, depuis longtemps, ils nous gardent bien enfermé-e-s. Des contrôles policiers et autres pogroms des unités antiterroristes aux juntes d’économistes qui exterminent tou-te-s celles et ceux qui ne rentrent pas dans leurs statistiques. Des industriels Grecs qui s’opposent à l’avancée des colosses des multinationales, soutenant le socialisme arriéré de SYRIZA, à l’État d’urgence des politiciens qui revêtent le costume de l’hyper-patriote, toujours au service des intérêts du pays, et jusqu’aux policiers et à l’armée qui s’équipent des toutes dernières technologies en matière d’armes pour réprimer les révoltes, et jusqu’aux prisons de haute sécurité.
Il faut nommer les choses par leur nom, et si l’État profite bien de quelque chose, c’est de l’inertie qui s’est établie en tant que condition normale.
Il sera bientôt trop tard, et le Pouvoir, avec sa baguette magique, ne montrera de pitié qu’envers celles et ceux qui s’agenouillent servilement face à son omnipotence.
Le système envisage un futur dans lequel on enterre vivant-e-s les révolutionnaires dans les “établissements de détention correctionnelle intensive”, dans lesquels ils essayeront de briser leur corps, leur âme et leur moral.
Un musée innovateur de l’horreur humaine, où on fera pendre le panneau “exemples à éviter » au cou des exhibitions vivantes, cobayes humains sur lesquels seront testées toutes les intentions sadiques du Pouvoir.
Chacun, chacune répond à ces dilemmes et prend ses décisions. Ou spectateurs assis dans les sièges isolés d’une vie amputée, ou acteurs des faits qui forment l’évolution de l’histoire.
*
Cette nuit-là, le regard ancré à l’horizon, nous avons vu tomber de nombreuses étoiles dessinant leur chemin chaotique. Et nous, nous comptions, et recommencions à compter, nous faisons des vœux, nous calculions les possibilités. Nous savions que notre volonté d’avoir une vie libre devait passer par-dessus tout ce qui nous opprime, nous tue, nous détruit, et pour cela, nous nous sommes jeté-e-s dans le vide, exactement comme les étoiles que nous voyions tomber.
Depuis lors, un nombre infini d’étoiles sont tombées, et peut-être qu’est arrivée l’heure de la tombée de la nôtre aussi. Si nous avions des réponses déjà prêtes, nous ne serions pas ce que nous sommes, simplement des connards intéressés qui apprendrions aux gens comment être des rongeurs qui se dévorent entre eux, comme ils le font déjà.
Au moins, nous autres continuons d’être catégoriques et têtu-e-s, comme le sont les personnes faites comme nous. Et celles et ceux d’entre nous qui ont douloureusement fermé leurs yeux et sont parti-e-s au loin, gardent leur le regard rivé à ce ciel nocturne que nous regardions nous aussi. Et ils et elles nous voient tomber, de belles étoiles brillantes. Maintenant, c’est notre tour ; maintenant, nous tombons sans vaciller.
A partir du lundi 10 novembre 2014, je commence une grève de la faim sans reculer d’un pas, avec l’anarchie dans mon cœur, pour toujours.
Les responsables de chaque jour de grève de la faim et de ce qui se passera à partir de maintenant sont ceux qui font partie du conseil de la prison : le procureur Nikolaos Poimenidis, la directrice Charalabia Koutsomichali et l’assistante sociale.
Solidarité signifie attaque.
P.S. : A tous les “lutteurs” de salon, les humanistes professionnels, les personnages “sensibles” de l’intellect et de l’esprit, par avance : allez vous faire foutre.
Nikos Romanos
Dikastiki Filaki Koridallou, Ε Pteryga, 18110 Koridallos, Athènes, Grèce
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